L'Ecume des jours : mélodie absurde au pianocktail

 


« A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. »


Ceux d’entre vous qui ont lu l’ouvrage dont je vais parler aujourd’hui auront deviné que je parle ici du pianocktail sorti tout droit de l’imagination de Boris Vian… C’est un objet qui m’a fasciné pendant longtemps et est responsable de mes nombreuses relectures de l’Ecume des jours.

Pour une fois, il est impossible de me rappeler ma première lecture de ce livre. D’habitude je me souviens à peu près du moment où j’ai découvert le livre (surtout ceux que je nomme les classiques) et pourquoi ils m’ont immédiatement marqué. Mais la… je sais que j’ai étudié l’incipit au collège, je sais que j’ai écouté les chansons de Boris Vian mais je ne sais plus pourquoi j’ai lu l’Ecume des jours. Je suis une grande adepte de l’absurde. J’adore Ionesco, Beckett et tant d’autres. Et bien sûr, j’ai un petit faible pour Boris Vian que j’ai découvert d’abord grâce à ses poésies puis par ses chansons.

Comme d’habitude, je commencerais par vous parler de l’auteur puis du contexte de création de l’œuvre. Je vous parlerai ensuite de l’histoire et des personnages (attention, je risque de dévoiler des points importants de l’histoire dans cette chronique). Enfin, je donnerais mon avis sur le roman et j’expliquerais pourquoi, pour moi, c’est un classique.


Boris Vian est né le 10 mars 1920 dans les Hauts de Seine et est mort le 23 juin 1959 à Paris. C’est un écrivain, chanteur, musicien, poète… il a énormément de casquettes ayant touché un peu à tout. Après des études et l’obtention de son diplôme d’ingénieur, sa famille fuit la guerre en juillet 1940 et il s’installe avec elle à CapBreton. Il écrira plus tard qu’il n’a rien fait et s’est senti comme un imbécile. Parallèlement à ses études, il apprend à jouer de la trompette et s’intéresse de près au jazz dont il sera un grand défenseur.

Sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, il publie en 1946, J’irai cracher sur vos tombes qui fait scandale et vaut à son auteur des démêlés avec la justice et le fisc. Boris Vian utilise une grosse quantité de pseudonyme pour signer ses écrits. Adorateur de l’absurde, Boris Vian est aussi connu pour ses chansons comme La complainte du progrès ou Le Déserteur. Mais c’est de l’Ecume des jours, œuvre emblématique dont je vais vous parler aujourd’hui.

Rédigé entre mars et mai 1946 et publié en mars 1947, l’Ecume des jours est une déception pour son auteur. Le roman n’a aucun succès du vivant de Boris Vian malgré le soutien apporté par deux autres grands auteurs : Raymond Queneau et Jean-Paul Sartre (publication dans sa revue Temps modernes). Le roman n’est reconnu qu’à la fin des années 1960 avant de devenir une œuvre reconnue dans les années suivantes. Œuvre s’apparentant plus au conte qu’au roman qui peint un univers poétique et un peu étrange, l’Ecume des jours traitent de thèmes assez universels comme l’amour, la mort, la maladie ou le travail.

Colin rencontre Chloé et ils tombent amoureux. Tout va pour le mieux pour le jeune couple mais un jour Chloé tousse. Le docteur est appelé en urgence. Chloé a un nénuphar dans la poitrine qui l’affaiblit. Pour payer les frais médicaux et soigner Chloé coute que coute Colin doit travailler. Entre la maladie de Chloé, la passion de son ami Chick pour Jean Sol Parte et la réalité de la vie, Colin voit son monde s’effondrer petit à petit…

L’Ecume des jours est un conte qui commence bien et qui termine mal. Le roman s’ouvre sur Colin qui termine sa toilette et rien ne peut permettre au lecteur de deviner quel sera le propos du livre. On découvre un univers un peu étrange, des inventions bizarroïdes et une revisite particulière de l’époque de l’auteur. Très vite Colin rencontre Chloé et c’est le coup de foudre. Mais Chloé tombe malade et partir de là tout dégénère. Le roman devient plus tragique et plus noir pour se terminer sur une note négative et pessimiste. Tout se désagrège et l’univers avec. En effet, la maison de Colin, au départ si lumineuse et si parfaite, rétrécit et s’obscurcit comme la vie des personnages. L’histoire est très courte ce qui accentue l’impression d’accélération des événements.

Parlons d’ailleurs des personnages. Il y en a peu. Colin et Chloé sont les principaux suivit de près par Chick et Alise l’autre couple phare du livre. Chick est passionné du philosophe Jean-Sol Parte qui le conduit peu à peu vers la folie, tandis qu’Alise souhaite plus que tout que Chick l’épouse ce qui la perd elle aussi. Ensuite, nous avons Nicolas, le cuisinier de Colin, puis le fameux philosophe (je vous laisse réfléchir pour la référence) mais aussi une petite souris qui lutte pour que la maison reste lumineuse et qui est une amie du premier couple. On ne sait pas grand-chose des personnages, juste ce dont on a besoin pour l’histoire et c’est tout. L’auteur ne nous donnera rien de plus.

De nombreux thèmes se retrouvent dans le roman. On parle de l’amour qu’il soit physique ou impossible et qui peut conduire vers le drame. L’auteur dénonce les conditions de travail à travers le personnage de Colin qui doit travailler pour acheter des fleurs et guérir Chloé dans des conditions parfois horribles. On retrouve aussi la question de la musique à travers certaines références comme le nom des personnages ou encore avec le pianocktail. Et enfin, la question de la maladie est aussi très présente et plus particulièrement comment la maladie peut affecter l’entourage proche en plus du malade.

L’Ecume des jours est un classique pour plusieurs raisons. Tout d’abord plaçons nous d’un point de vue purement scolaire. L’Ecume des jours est souvent très étudié pour son incipit un peu particulier ou pour son écriture singulière. Encore aujourd’hui le roman est dans les programmes scolaires pour l’étude de l’absurde par exemple.

Ensuite, comme d’autres romans, il a eu un certain succès et est aujourd’hui reconnu comme étant un inconditionnel de la littérature absurde. Il est très apprécié et conseillé par de nombreuses personnes lorsque l’on parle de conte ou d’écriture amusante. En effet, de nombreux jeux de mots sont présents dans le roman ce qui en fait une référence au même titre qu’Exercices de style de Raymond Queneau.

Enfin, c’est un classique pour moi car il représente une facette de la littérature française qui mérite d’être reconnue encore aujourd’hui. On est presque sur du fantastique tellement la forme est loufoque et étrange. L’absurde est trop souvent cantonné au théâtre d’où la nécessité de vous parler de ce roman pour prouver que ce genre littéraire marche aussi bien en roman.

Je ne peux que vous conseiller la lecture de cette petite histoire tragique. Elle a été bien sûr été adaptée si vous voulez quelque chose de plus visuel :

 

-          L’Ecume des jours, film de Charles Belmont en 1968 avec Jacque Perrin notamment




-   Mais le plus récent et sans doute l’adaptation de Michel Gondry avec Romain Duris et Audrey Tautou. Le film date de 2013 et reste une bonne adaptation même si je l’ai trouvé un peu trop fantasmagorique par moment, loin du côté plus réaliste du roman.




Voila, c’est tout pout cette chronique déjà bien longue. N’hésitez pas à aller lire les poèmes ou à écouter les chansons de Boris Vian qui sont toute aussi représentatives de son style et de son univers ! Avez-vous lu l’Ecume des jours ? Qu’en avez-vous pensé ? Le débat est ouvert !

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