Tsiganes du brouillard 2 - La nuit de la fée

 


II. La Nuit de la fée

 

 Yanna ignorait combien de temps elle était restée sans connaissance. Lorsqu’elle reprit ses esprits, la nuit avait imposé silence au monde. Une belle lune de cristal trônait au firmament. « Regarde bien, petite Yanna, murmura une voix étrange, c’est la lumière du Roi Lune qui éclaire la nuit de la Saint Jean. Et pendant cette nuit, tout peut arriver ! Réveille-toi, nous sommes là pour toi. » La fillette se frotta les yeux et contempla, incrédule, une scène qu’aurait pu décrire son grand-père Shandor dans l’une de ses histoires merveilleuses. Assise dans la clairière, une mère blaireau entourée de six blaireautins lui souriait au clair de lune.  

« Que faites-vous là ? s’écria Yanna dans un moment de panique. Allez-vous-en ! Je n’aime pas les mauvais rêves ! Au secours, Papù Shandor, viens à mon aide !

- Calme-toi, petite Yanna ! Il faut que tu sois forte. Car c’est toi, au contraire, qui dois venir en aide à ton grand-père pour son dernier voyage ! » La mère blaireau marqua une pause et reprit à voix basse : « Je me nomme Taksa et voici quelques-uns de mes enfants, Lélé, Alé, Pénélé, Sélé, Kélé et Kérélé. » A l’appel de leurs noms, les blaireautins, chacun leur tour, étaient allés frotter leurs museaux contre la jambe de la fillette. « Il manque Dana, Fara, Harulo, Zina, Rina et Wirulo qui montent la garde devant notre terrier. Car nos ennemis sont partout et prennent toutes les formes possibles et imaginables ! Et je te remercie d’avoir pris ma défense contre cette bande de sales garnements  qui voulait me faire rôtir !

-Je n’aime pas qu’on fasse du mal aux animaux, s’entendit répondre Yanna avant de poursuivre en aparté : je dois être folle, je discute avec un blaireau !

- Non, Yanna, tu n’es pas folle ! Il faut que me fasses confiance et que tu m’écoutes car je dois t’apprendre certaines choses que ton grand-père n’a pas eu le temps de te révéler…Par exemple, sais tu pourquoi ta tribu porte le nom d’ « Ursitori » ?

-Je ne me suis jamais posé la question, répondit Yanna soudain calme et attentive.

-Parce que c’est la seule tribu qui ait des liens aussi étroits avec les « Urse », les fées  qui accompagnent le peuple tsigane depuis l’origine du monde.   

-Oui, je me souviens maintenant, s’exclama la fillette dont un sourire inattendu venait d’éclairer le visage. Papù Shandor m’a souvent raconté qu’il y avait trois reines des fées : la première est malveillante, c’est  Kalumra. La deuxième est  souriante et ne prend jamais parti…Son nom m’échappe ! Et la troisième est bienveillante , c’est…

-Matuya ! coupa la mère baireau. Eh bien sache que moi, Taksa, je suis l’une des nombreuses filles de Matuya, la reine des bonnes fées. C’est elle qui m’a envoyée ici pendant la nuit de la Saint Jean car c’est la seule nuit de l’année où les êtres de l’autre monde, s’ils prennent l’apparence d’un animal, sont autorisés à rendre visite aux humains. »

Yanna ne savait plus si elle rêvait ou non mais elle commençait à aimer ce dialogue saugrenu  et continua de jouer le jeu.

« Mais pourquoi Matuya t’a-t-elle envoyée ici, Taksa ? Qu’as-tu donc à m’apprendre ?

-Je suis là pour te mettre en garde, Yanna ! Les tiens et toi, vous êtes en grand danger. Car il faut que tu saches que ton grand-père n’est pas mort de mort naturelle comme toute ta tribu le croit… »

Un long appel désespéré retentit dans le lointain et Yanna reconnut la voix de sa mère. Elle se souvint alors qu’elle avait quitté le camp depuis le début de l’après-midi.

« Mes parents s’inquiètent, Taksa, ils me cherchent ! Je dois les rejoindre. Tu me raconteras la suite plus tard…

-Hélas, je ne le pourrai pas avant la prochaine nuit de la Saint Jean. Et dans un an, il sera trop tard !   Je te supplie de prendre encore un peu de temps pour m’écouter. Les légions noires ont déclenché le chaos pour s’emparer de votre monde. Partout, s’étendent l’injustice, la guerre et les massacres ! Mais vous, les Ursitori, vous êtes dépositaires d’un trésor que Matuya a confié à votre tribu depuis le début du monde pour maintenir le fragile équilibre entre le bien et le mal. C’est Shandor, ton grand-père, qui était le gardien de ce trésor ! Et c’est pour cela que les démons l’ont tué. Ils ne savent pas ce qu’est ce trésor ni où il se trouve. Ils ont alors décidé de supprimer la seule personne qui en connaissait le secret et pouvait s’en servir contre eux.

-Ma mère m’appelle, Taksa ! Je dois y aller. Dépêche-toi de me dire ce secret !

-Je n’ai pas le droit de te dire ce qu’est le trésor, Yanna. Si les tiens en sont dignes, vous le trouverez ! Je peux seulement te dire qu’il se trouve dans la roulotte où ta famille vivait avec ton grand-père. Il ne faut pas que la roulotte soit détruite ! Sinon, l’âme de Shandor errera sans fin car ses héritiers auront déshonoré son titre de gardien…Et le monde, privé du trésor de Matuya, tombera aux mains des légions noires ! 

-Je te promets de faire de mon mieux, sanglota Yanna, mais je ne suis pas sûre d’y arriver toute seule…Adieu, Taksa, je retourne auprès des miens !

-Une dernière chose, Yanna. Le courage dont tu as fait preuve pour me sauver des « Tchikali » mérite une récompense. Si tu as besoin d’aide, prononce à haute voix les noms de mes douze enfants …Mais attention, ils ne pourront intervenir que si tu les appelles dans le bon ordre ! Alors, retiens-le bien : Lélé, Alé, Pénélé, Sélé, Kélé, Kérélé, Dara Fara, Harulo, Zina, Rina, Wirulo. Bonne chance à toi et aux tiens ! »

 La fillette remercia Taksa et, tandis qu’elle courait rejoindre sa mère, répéta douze fois les douze noms des enfants de la fée qu’elle ne vit pas pleurer dans la pâleur nocturne de la lumière du Roi Lune.

 

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