Tsiganes du brouillard 7 - La venue des fantômes

 




VII. La Venue des fantômes

 

Les Ursitori s’amusaient beaucoup à regarder le petit bonhomme laper frénétiquement le lait de l’écuelle qu’ils venaient de lui apporter. « Quelle descente, riait Nanosh. Il devait drôlement avoir soif ce Tichno…Tichnu…Tchignu, ah, je ne sais plus quoi !

-Tchi-gno-ma-nush, s’interrompit le gnome en insistant bien sur chaque syllabe. Vous êtes très généreux mais ça ne vous donne pas le droit d’écorcher mon nom !

-Tchigno…ceci ou cela, peu importe, reprit Nanosh. Vu ton goût pour la boisson, on devrait plutôt t’appeler « Tchin-Tchin » !

-Oh oui, « Tchin-Tchin », c’est une bonne idée, approuva Yanna. Et puis ça lui va bien, avec sa frimousse poilue et son œil malin.

- Va pour « Tchin-Tchin », s’esclaffa le gnome. C’est un nom drôle et sympathique…Tout comme moi ! »

A peine Yossip s’était-il  détourné de cette scène que son sourire se figea. Sur le marais, le brouillard s’estompait peu à peu mais un nuage sombre semblait se former à l’horizon. Troublé, il prit son épouse à témoin : « Regarde Sara, il se passe quelque chose d’étrange là-bas ! Comme si un orage se préparait…

-Tu as raison, Yossip. On dirait que des fumées sortent de nulle part ! Elles sont en train de se rassembler dans une sorte de tourbillon.

-Mon Dieu, soupira Yossip, nous avons été imprudents ! Souviens-toi de nos coutumes, Sara. Du lait que nous devons offrir au défunt pour calmer son esprit !

-Nous sommes partis en catastrophe du camp et nous avons oublié le vieux rite ! »

Affolée, Sara courut vers Tchin-Tchin  qui terminait l’écuelle et la lui prit avec violence avant de se précipiter vers un frêne creux au pied duquel elle déposa le récipient avant de revenir précipitamment vers ses enfants qui la dévisageaient sans comprendre. « Ne vous inquiétez pas, haleta-t-elle, je ne suis pas devenue folle. Je viens de vous mettre à l’abri !

-A l’abri, s’étonna Yanna, mais de quoi ? »

Sara n’eut pas le temps de répondre. Sous les yeux écarquillés des enfants, une tornade de ténèbres se rua vers l’écuelle et la fit disparaître dans de terrifiants remous qui avalèrent aussi le petit arbre en un grondement infernal.

Les Ursitori et Tchin-Tchin s’étaient mis à plat ventre, attendant avec angoisse d’être emportés à leur tour par la violence de ce vent inconnu. Mais quelques instants plus tard, l’ouragan s’était dissous en une légère fumée blanche qui, au grand soulagement de la famille, se mit à parler avec la voix profonde et grave de Shandor : « Mes enfants, vous avez bien agi ! Le mulo, l’esprit mauvais des morts, avait pris possession de mon âme. Sans cette offrande, il vous aurait détruit. Le peu de lait qu’il a bu, le neutralisera un moment et, pendant ce temps-là, je serai en paix ! Vous avez entrepris un périlleux voyage, mes enfants, et j’ai confiance en votre courage. Mais ne m’oubliez plus en chemin… Surtout quand vous serez parvenus aux portes de l’au-delà. Vous devrez alors faire le bon choix. »

 Yanna, en larmes, s’apprêtait à poser à son grand-père toutes les questions qui la hantaient depuis la nuit du deuil. Mais la petite fumée blanche s’était déjà évanouie dans la brume du marais…Non sans avoir murmuré quelques mots que le Tchignomanush fut le seul à entendre et qui le mirent dans un état de grande agitation. « Vite, cria-t-il, il faut que nous quittions ces lieux ! Lorsqu’un mulo se déchaîne, il attire en général des tas d’autres fantômes dans son sillage. Et souvent plus dangereux que lui ! Reprenons la route, il n’y a pas un instant à perdre ! »

Mais il était déjà trop tard. Aux quatre coins du marais, s’élevaient des colonnes de suie qui prenaient l’apparence d’arbres griffus menaçant le ciel. Cette  forêt maudite encercla bientôt les Ursitori qui virent se former, dans un épais nuage d’encre, les traits enflammés du plus maléfique des esprits du marais. Des yeux et des dents de braise ! Des griffes monstrueuses prêtes à fondre sur la roulotte et ses occupants ! « C’est lui, hurla Tchin-Tchin. C’est le Priculitsch ! Il règne sur les eaux mortes et personne n’a jamais pu lui échapper ! »

Yanna pensa alors à demander de l’aide et chercha désespérément à se souvenir des douze noms des fils de Taksa. Mais la terreur était trop grande et sa mémoire lui fit défaut.

 

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