X. Les Sortilèges de la
forêt
Dansant sur le dos de
la jument épuisée, un être de cauchemar caquetait sans aucune pitié pour
l’animal à l’agonie. Il ressemblait à une espèce de porc-épic qui aurait
contracté une sévère forme de jaunisse et semblait prendre un plaisir malsain à
sauter de plus en plus fort sur le corps affaibli de la pauvre Mialka. Le coeur
soulevé de dégoût, Yossip sortit du feu de camp un tison enflammé dont il
menaça la créature qui s’enfuit sans demander son reste en un concert moqueur d’aigres
caquètements. Yanna se précipita vers la jument pour tenter de la
réconforter : « Qu’est-ce que c’est que ce monstre? Pourquoi t’a-t-il
fait du mal ?
-Ça, répondit son père, c’était le hâgrin ! Je l’ai déjà
vu à l’œuvre quand j’étais enfant. Les anciens disent que c’est une maladie
vivante…Qu’il sème le désespoir chez les voyageurs en s’attaquant aux chevaux
la nuit pour les faire mourir d’épuisement !
-Une maladie vivante ? sanglota Yanna. Ma pauvre Mialka,
que va-t-il lui arriver ? Tout ça, c’est de la faute de Nanosh ! Je
lui avais pourtant dit de ne pas invoquer Melalo ! Maintenant, le roi des
démons des maladies se venge sur nous.
-Je n’y suis pour rien, protesta Nanosh. Ce qui s’est passé,
c’est sûrement encore une sale épreuve que nous envoient les maîtres de l’autre
monde !
-Cessez de vous disputer, coupa Sara. Cela ne sauvera pas
Mialka. Il faut que nous l’aidions à reprendre des forces, sinon nous ne
pourrons pas conduire « Bleue Verdine » en-dehors de cette maudite
forêt !
-Pour le moment, nous n’y risquons pas grand-chose, intervint
Tchin-Tchin. Mais il ne faudrait pas que le hâgrin soit allé donner l’alerte.
Car si c’est le cas, nous aurons à faire face aux abominables
Locholitschos ! Je ne les ai jamais rencontrés mais j’en sais suffisamment
sur eux pour ne pas avoir envie de croiser leur chemin… »
Un léger bruit de
feuilles qu’on foule interrompit le tchignomanush. « Les voilà,
prévint-il. Il ne nous reste plus qu’à vendre chèrement notre
peau ! » Du fond de la forêt s’élevèrent d’abord un, puis deux, puis
des dizaines de longs aboiements. Les bruits de feuilles foulées se firent de
plus en plus proches. Peu à peu, émergeant du couvert des arbres, une troupe de
créatures aux corps d’hommes et à têtes de chiens apparut aux Ursitori. L’une
d’entre-elles s’approcha lentement du petit groupe qu’elle terrifia en faisant
sortir de sa gueule une langue de fer étincelante comme une épée. Elle tenait
dans sa main droite une sorte d’animal jaunâtre et inanimé que Yossip reconnut
immédiatement. Sans un regard pour les humains, l’homme-chien s’approcha du feu
et y jeta le cadavre du hâgrin qui se consuma en quelques secondes, ne laissant
du monstre qu’un monticule de cendres vertes. Puis, la créature se retourna
vers les Ursitori et leur lança deux mots « Juklanusch Burgust »
avant de rejoindre ses compagnons qui disparurent avec lui dans les profondeurs
de la forêt.
« Ça alors, souffla Tchin-Tchin, je n’aurais jamais
espéré vivre ce moment !
-Qu’est-ce que tu veux dire, lui demanda Yanna toujours empressée
auprès de sa jument qui retrouvait peu à peu ses forces. Qui sont encore ces
monstres ?
-Mais tu ne comprends pas, s’enthousiasma Tchin-Tchin. Nous
venons de voir les Juklanusch en chair et en os ! Vous vous rendez
compte ? Les serviteurs du Roi des Brumes…Les gardiens légendaire de
l’arbre qui marque la frontière de l’au-delà ! Ce sont les plus farouches
ennemis des Locholitschos. Nous ne courons donc plus aucun danger.
-Celui qui a brûlé le hâgrin, remarqua Yossip, il a prononcé
des mots que je n’ai pas compris. Est-ce que tu sais ce qu’il a voulu
dire ?
-Il a dit quelque chose comme « Forêt des
hommes-chiens ». Cela signifie que
le hâgrin a dû commettre un sacrilège en pénétrant dans leur domaine et c’est
sûrement pour cette raison qu’ils l’ont détruit ! A ce propos, nous devons
absolument récupérer les cendres du petit monstre jaune : elles ont un
grand pouvoir !
-Mais c’est étrange, s’interrogea Yanna. Nous aussi, nous
avons violé le domaine des hommes-chiens. Alors pourquoi ne nous ont-ils pas attaqués ?
-C’est ça le plus incroyable ! Ils nous ont fait
comprendre que nous étions autorisés à traverser la forêt pour continuer notre
route vers l’au-delà. Leur maître, le Roi des Brumes, ne nous opposera plus
désormais aucun obstacle ! »
Comme si elle avait
compris l’enjeu du moment, Mialka s’était relevée et, d’un pas hésitant,
s’était dirigée vers « Bleue Verdine » dans l’attente d’un tout
prochain départ. Tchin-Tchin, quant à lui, avait failli se brûler les doigts en
ramassant les cendres du hâgrin qu’il
déposa dans une petite boîte de fer avec autant de précautions que s’il
manipulait des diamants.
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