IX. Mashurdalo !
Toute la famille était réunie autour d’un bon feu que Tchin-Tchin alimentait régulièrement de bois mort, disponible en abondance aux alentours de la clairière. C’était le temps du repos et chacun savourait l’instant. Dans la grande marmite commune suspendue à un trépied de fer, Sara préparait la mamaliga, une délicieuse bouillie de farine et de maïs dont Nanosh et Yanna se régalaient d’avance. Yossip tirait d’épaisses bouffées de la pipe en cuivre qu’il avait lui-même fabriquée et buvait à grandes lampées l’odorant tabac dont quelques volutes grises s’échappaient des commissures de ses lèvres. La forêt offrait un asile bienvenu aux voyageurs éprouvés. Mais elle n’était pas sans dangers. Au creux des fourrés, Tchin-Tchin avait remarqué les taches laiteuses de deux gros yeux qui épiaient le groupe.
« Faites semblant de rien, avait-il murmuré en
souriant. Il y a un mashurdalo en embuscade derrière les arbres !
-Un quoi ? s’inquiéta Yanna, surprise par l’apparente
décontraction de son ami.
-Un mashurdalo ! répondit Tchin-Tchin sur le ton de la
confidence. Mais nous ne risquons rien. C’est un gros imbécile qui n’a pas plus
de cervelle qu’un ver de terre. Un géant idiot toujours à l’affût dans les bois
en train de chercher de la nourriture pour lui et sa famille. Cela dit, il
n’est pas dangereux !
- Ah bon,tu nous rassures, réagit Nanosh. Et quelle est sa
nourriture préférée ?
-La chair humaine ! »
Les Ursitori manquèrent s’étrangler d’horreur. « Et tu
nous annonces ça en riant ? s’offusqua Yossip. Tu prends la situation un
peu trop à la légère ! Je te rappelle que nous sommes sans protection dans
cette clairière. S’il lui prend l’idée de nous attaquer en terrain découvert,
nous n’avons aucune chance !
-Pas de panique, répliqua Tchin-Tchin toujours goguenard. Le
mashurdalo adore la chair humaine, c’est vrai…Mais il ne se rappelle jamais à
quoi ressemble un humain. Et il est très facile de le berner. Vous allez
voir ! »
Tchin-Tchin se dirigea alors vers un imposant rocher qui
trônait au milieu de la clairière et se mit à engager la conversation avec lui.
Il lui parla de longues minutes comme s’il venait de retrouver une vieille
connaissance et finit par prendre congé de lui en hurlant ces
mots : « Allez, au revoir, mon cher ami humain ! Et fais
bien attention à toi. Ta viande saine et tendre pourrait faire des
envieux ! » Tchin-Tchin revint
ensuite prendre place autour du feu en chuchotant d’un air entendu :
« Soyez attentifs ! Ça ne va plus tarder ! » Soudain, une
ombre gigantesque sortit du couvert des arbres avec une rapidité surprenante et
courut s’emparer du gros rocher en poussant un cri rauque. Fier et victorieux,
le mashurdalo disparut en un clin d’œil dans les profondeurs du bois.
Tchin-Tchin éclata de rire. « Je connais une famille qui va avoir du mal à digérer la chair
humaine, aujourd’hui ! » D’abord interloqués, les Ursitori
accompagnèrent d’un grand rire la gaieté du tchignomanush qui avait joué ce bon
tour au géant le plus bête de la création. Et tous partagèrent avec un joyeux
appétit le repas tout en dégustant un excellent thé préparé dans le samovar de
Shandor. « Le voilà peut-être, le trésor de Matuya, rêva Yanna. Ce thé
fait tellement de bien au corps et au cœur… » Mais, portant la tasse à ses
lèvres, elle vit la paume de sa main blanche et dépourvue de lignes. L’angoisse
la reprit. « Et maintenant, interrogea-t-elle, que devons-nous
faire ? Où devons-nous aller ? Nous ne savons même pas si nos
épreuves sont finies.
-Je crois, intervint Yossip, que nous ne sommes qu’au début
du voyage. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai le sentiment que nous trouverons
bien des réponses de l’autre côté de la forêt.
-Je ne peux pas tout vous révéler, aquiesça Tchin-Tchin, mais
je ne peux pas non plus vous donner tort. Quand nous aurons traversé la forêt, nous
arriverons… »
Un hennissement terrifiant l’interrompit. Mialka, la vieille
jument, s’était cabrée et lançait de furieux coups de sabots dans le vide. Elle
cherchait à se débarrasser d’une
créature jaunâtre qui s’était accrochée à sa crinière et elle se mit à galoper
en faisant plusieurs fois le tour de la clairière. Enfin, à bout de souffle et
les yeux révulsés, elle vint s’affaler en sueur au pied de la roulotte.
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